Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Laïcité

pythecos-11.jpg

                   
             Nous avons supprimé l'article précédent pour tenir compte des remarques, fort justifiées,  de plusieurs de nos correspondants: trop long, trop confus, et incomplet. Nous le reprenons en le scindant en trois parties. Il est en effet  impensable que nous, Français,  refusions d'accueillir les migrants, ce serait contraire à nos valeurs fondamentales. Toutefois nous devons nous méfier du communautarisme qui pourrait sonner le glas de ces-dites valeurs, et plus drastiquement le glas de notre république une et indivisible.  Sans tomber dans le catastrophisme, la menace est sérieuse. Mais nous avons une arme majeure: la laïcité. Encore faudrait-il préciser le sens de ce mot, dont l'emploi, aujourd'hui, donne lieu à de nombreuses confusions.

           L'histoire des mots est un "préalable indispensable à celles des idées" comme le souligne A.Rey dans son adresse au lecteur de son dictionnaire historique (Le Robert, P.1993). Or, si le mot est récent, sa famille se perd dans la nuit des temps. En effet, on ne peut pas considérer ce terme comme un néologisme, puisqu'il est attesté à la fin du XIXème siècle. (Rey le trouve dans le supplément du Littré de 1871), personnellement nous devons reconnaître qu'il ne figure pas dans notre édition de 1881 - ni dans le corps de l'article laïque ni dans le supplément du dictionnaire; quant au terme laïcisme il figure bien dans ce même Littré, mais comme un archaïsme employé par les Anglais au XVIème siècle ! C'est dire que ce mot, laïcité, ne prendra son essor qu'au XXème siècle et, si ce n'est plus un néologisme, il est encore bien jeune et sujet à des connotations douteuses, voire impropres, comme celle d'athéisme. Il convient donc, pour être plus précis, de rechercher son origine, qui remonte à l'antiquité grecque; nos connaissances (bien fragiles) ne dépassant pas ce stade, il convenait de nous assurer qu'il possédait ou non,  en deçà, une racine indo-européenne. Interrogé sur ce point, Frédéric Blondieau, l'éminent linguiste belge que nous remercions vivement, auteur du blog passionnant Le dimanche indo-européen, nous a rapporté la réponse suivante, que nous reproduisons intégralement :

"Laïcité". Quelle belle idée, quelle grande idée! 
  Difficile de remonter beaucoup plus loin que λαός, malheureusement.
Ce qu'on peut en dire: à l'origine, le mot était un collectif, qu'il désigne le peuple, certes, mais "en armes", "sous les armes".  A ce mot s'attache clairement une connotation militaire. On n'est pas très sûr de la racine proto-indo-européenne dont il proviendrait. On émet une forme proto-héllénique (non attestée) *lāwós, qui pourrait descendre d'un proto-indo-européen*leh₂wos ‎(“peuple sous les armes", où *leh₂- ‎ferait référence à l'action militaire). Mais très honnêtement, les arguments avancés ne sont pas très convaincants.Les linguistes qui défendent cette théorie, en tout cas, rapprochent λαός - qui pour eux seraient d'origine ionique/attique - du hittite laḫḫa-, “campagne militaire”, et du vieil irlandais láech, "guerrier".
En revanche, pour Robert Beekes (“Etymological Dictionary of Greek”), à qui je donnerais clairement ma préférence, le mot serait plutôt pré-grec (et donc issu du substrat linguistique préexistant, donc NON-indo-européen).
Ce qui est intéressant, en tout cas, c'est cette notion militaire attachée au mot, dès l'origine.

     Ainsi, mais  bien inconsciemment (!), nous avons apposé à ce substantif l'expression "une arme majeure" ! Que, d'origine militaire, le terme ait glissé dans le registre religieux, n'a rien de surprenant : laïkos est un adjectif dérivé de laos, le peuple; il s'oppose à klêros part donnée en héritage, et par glissement, part donnée à une église ou à un prêtre, puis le prêtre lui-même. En latin, ces deux sens vont  suivre : clericus un clerc, un membre du clergé, laïcus (adjectif : qui n'appartient pas au clergé), d'où le substantif: un laïc qui en bas-latin deviendra lai. Un frère lai, une sœur laie.
      Replaçons le mot dans son contexte, nous sommes aux XIème, XIIème siècles, période où la foi religieuse est intense; il suffit de quelques moines pour s'exiler dans un lieu désert, sauvage, et y fonder un monastère, une abbaye. Leur mission première est la prière, mais il faut faire face aux contingences: essarter, cultiver pour s'alimenter, et construire. Ces tâches leur sont apparues rapidement insurmontables, d'où l'accueil de paysans de la paroisse ou des paroisses avoisinantes, venus leur apporter le concours de leurs bras. Ils forment une seule communauté mais en deux groupes distincts: les religieux, moines, le plus souvent instruits, sachant lire et écrire, dénommés clercs, et de l'autre, les frères lais, issus du peuple, le plus souvent illettrés. Ils peuvent vivre à l'intérieur de la communauté dans des bâtiments séparés, ou marginalement si leur famille est proche, ils ne sont pas soumis aux trois vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté, même si la contiguïté et l'exemple les y invitent fortement. Ils n'ont pas voix au chapitre. Si les moines se regroupent dans le chœur, les frères lais demeurent dans la nef. En d'autres termes, le frère lai appartient à la communauté religieuse sans en avoir les avantages ni les obligations. Le terme lai, disparaîtra à la fin du Moyen Age, sous l'influence d'un retour aux sources latines  et reprendra sa forme première, issue du latin: laïcus > lai > laïc. Ce sens premier appartient bien au registre religieux:  qui œuvre à l'intérieur d'une communauté chrétienne, sans être "clerc" lui-même; il va perdurer jusqu'à nos jours et s'affirmer dans le substantif laïcat, attesté en 1877: ensemble des chrétiens, non ecclésiastiques (ni séculiers, ni réguliers), œuvrant à l'intérieur de l'Eglise catholique. Aujourd'hui, avec la crise des vocations, le laïcat prend une ampleur particulière.

           Au XVIème siècle, sous l'influence de l'imprimerie et du livre, l'adjectif laïque, issu de laïc, va se substantiver: un laïque, une laïque, et va désigner toute personne qui n'est pas clerc, et plus particulièrement: qui est à l'extérieur des Eglises. On mesure la confusion qui va naître entre deux termes homophones, sans être homographes: un laïc, un laïque. Laïque devenant l'antonyme de clerc, avec une nuance d'opposition, d'animosité, de conflit guerrier:
           sens premier :  laïcus > lai > laïc > laïcat
           sens second  : laïcus > laïque (adjectif puis substantif) > laïcisme > laïcité
      et en opposition : clericus > clerc > clérical > cléricalisme > cléricature > clergé.
Si le mot apparaît au XVIème siècle, c'est qu'il correspond à une réalité concrète. Comment en était-on arrivé à cette opposition, quasi agressive, des laïques contre les clercs ?

          La naissance d'une Eglise  est venue tout naturellement de l'évangélisation; sa domination sociale - peu évangélique ( cf.la parole de Jésus: Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu (Matthieu (XXII), Marc (XII) Luc (XX)) fut la conséquence des invasions germaniques (Alamans, Wisigoths, Ostrogoth, Francs, Burgondes, plus tardivement Vandales et  Huns qui ne firent que passer, puis les Normands, tous migrants économiques, comme nous dirions aujourd'hui - les tsiganes arrivés encore plus tardivement ne trouvèrent plus de terres pour s'installer et demeurèrent et demeurent encore aujourd'hui, errants. Lesquels migrants, attirés par les richesses, n'hésitaient pas, au passage, à piller et, éventuellement,  à terroriser en massacrant les populations urbaines qui tentaient de s'y opposer. Le réflexe de panique fit que les  notables gaulois, qui avaient acquis, (contre impôt), la citoyenneté romaine, s'empressèrent de quitter la ville et de  s'exiler dans leur villa rurale, accueillant nombre d'artisans. Les villes se vidèrent, seul restaient les clercs qui se virent confier l'administration de ce qui restait de la cité. Quant aux domini ruraux, ils s'empressèrent de fortifier plus ou moins efficacement leur villa. Les clercs n'ayant pas suivi cet exode rural, il fallut y pourvoir, les "domini", devenus maîtres, seigneurs choisirent parmi leurs vilains, ou serfs,  l'un d'entre eux, suffisamment instruit pour retenir les prières (les pater noster, plus ou moins bien psalmodiés, les patenôtres), en leur accordant une modeste tenure et le devoir d'y construire un oratoire. Les villas gallo-romaines, même fortifiées, se montrèrent trop difficiles à défendre, les seigneurs abandonnèrent ces riches villas pour s'installer sur un éperon rocheux, ainsi naquirent les premières "maisons fortes", qui au fil des siècles devinrent de véritables forteresses. Les vilains s'agglutinèrent au pied des remparts, d'où la naissance des villages, ils confièrent leur défense aux seigneurs, et leur destin aux clercs, séculiers ou réguliers, qui furent de grands bâtisseurs (églises, prieurés, monastères, abbayes). Les seigneurs se regroupèrent pour élire un roi dont la succession devint héréditaire. Lesquels rois et seigneurs, essentiellement occupés à guerroyer, abandonnèrent la gestion de leur royaume, ou plus simplement de leur fief, aux clercs qui, seuls, étaient cultivés et maîtrisaient la lecture et l'écriture. (Faut-il rappeler que Charlemagne était illettré et signait d'une croix ?). Les clercs, par le biais de certains d'entre eux devenus ministres, renforcèrent leur puissance en déclarant la fonction royale comme l'étant reçue de Dieu (d'où le sacre, indispensable). Ainsi grossièrement résumée, la société féodale, socialement répartie en trois ordres: les prêtres,(intellectuels) les nobles (l'armée), et... les autres, le vulgus pecus le tiers, le peuple, artisans mais surtout paysans; rappelons que "paysan" vient du latin paganus qui a le double sens de païen

            Pendant toute cette période médiévale, la féodalité était contraire à l'idée d'Etat: le roi était un seigneur parmi d'autres et sa richesse tenait à l'étendue de son domaine, souvent bien inférieure à celui de ses vassaux et plus particulièrement, mais sans entrer dans les détails, à ses cousins angevins, les Plantagenêts. Une guerre fratricide devint inexorable, elle s'échelonna sur plus de cent ans et eut des conséquences considérables, dont l'hécatombe de la noblesse. Notons au passage le mythe fédérateur johannique. Par ses voix, Jeanne inspirée par Dieu, devient surnaturelle; mais elle demeure humaine; elle combat aux côtés des guerriers, c'est à elle qu'est attribuée la prise d'Orléans, et non à ses frères "gens d'armes"; elle ne lutte pas contre des cousins angevins, mais contre les Anglais, qu'elle boutera hors de France; elle mènera jusqu'à son terme sa mission: sacrer à Reims, Charles VII, roi de France; elle sera finalement abandonnée par les siens, aura son Judas, et mourra, non sur la Croix, mais sur un bûcher, accentuant l'aura du martyr. Nous sommes en 1431, le mythe est d'essence religieuse et affirme toujours la domination de l'Eglise sur le principe monarchique.

         La notion d'Etat n'est pas née ex nihilo au XVIème siècle, des clercs s'y employèrent au XIIIème siècle, à travers, en particulier, le thomisme (cf. Alain Boureau, la Religion de l'Etat, éd. Les Belles Lettres, 2006). mais c'est à Louis XI qu'il reviendra, pour diriger le royaume,  de faire appel aux bourgeois cultivés, et non plus exclusivement aux clercs. Il conférera à ces bourgeois la noblesse de robe, ( les robins  par opposition à la noblesse d'épée).
L'idée fera son chemin sous Charles VIII, Louis XII, et c'est à François 1er que reviendra le mérite de prendre  les trois décisions fondamentales qui consolideront l'idée de nation française:

   - En premier lieu, le Concordat, signé en 1516 par le pape Léon X, accorde au roi de France le pouvoir de nommer les évêques (clergé séculier) et les abbés (clergé régulier), lesquels, en retour, doivent prêter serment de fidélité au roi. Le roi s'arroge ainsi le pouvoir de distribuer les bénéfices ecclésiastiques, soit environ 150 évêchés et archevêchés, et 500 abbayes et prieurés. L'Eglise est toujours au cœur du politique, mais elle est gallicane et non vaticane. C'est une première étape entre la séparation du politique et du religieux.
   - En second lieu, l'Ordonnance de Villers Cotterets, promulguée en 1539, impose, (entre autres 90 articles), le français comme langue administrative officielle, au détriment du latin (la langue des clercs !) et des langues parlées régionales, (patois provinciaux), comme autant de marques communautaires qui s'opposaient à l'idée de nation.
       L'ordonnance fait également obligation aux curés de paroisses de recenser sur des registres les baptêmes et les sépultures, (en 1579, cette obligation sera étendue aux mariages). Un pas important, vers le recensement systématique de la population et la reconnaissance de la citoyenneté française.
       Parallèlement et à la suite de plusieurs ordonnances prises par Charles VII, Charles VIII, Louis XII, il a été fait obligation de rédiger par écrit les "us et coutumes" orales. L'Ordonnance de Villers-Cotterets est un début d'organisation de la fonction notariale (rédaction en français, conservation des archives, répertoire) et les premiers pas vers  l'unification du Droit à l'ensemble de la nation.
         Ne nous leurrons pas. Malgré les progrès considérables, engendrés par l'imprimerie qui induit lecture, écriture, malgré les  progrès technologiques de la navigation et de la  perception de la sphère terrestre, malgré les progrès de la connaissance de l'humain (l'anatomie), entre autres; malgré la montée d'une bourgeoisie puissante (à laquelle nous associons les robins), nous sommes encore loin de l'idée d'une nation laïque. Les trois actes fondateurs ne seront appliqués que lentement. Prenons en exemple le Berry: les cahiers de catholicité rendus obligatoires (baptêmes, sépultures, puis mariages) ne verront le jour dans certaines paroisses qu'au milieu du XVIIème siècle; la rédaction des coutumes, œuvre de Thomas de la Thaumassière, date de 1679, et 1701 pour une version complète, soit 140 et 162 ans après l'édit promulgué par François 1er. Quant à l'unification desdites coutumes, elle sera encore plus lente, ainsi, les ...700 (!) unités de mesure en usage dans le royaume, ne seront unifiées qu'en 1795 par la création du système métrique et il faudra attendre 1804 pour que le droit français (par opposition au droit coutumier), soit imposé à l'ensemble du territoire,  et il faudra encore attendre... attendre les lois de Jules Ferry (1881-1882),instituant l'école publique, gratuite et obligatoire pour que la langue française soit enseignée - uniformément - à tous les écoliers de France et fasse disparaître les parlers locaux, issus des langues langues d’oïl, d'oc et franco-provençal, vulgairement et péjorativement désignés par le nom de patois. Enfin, et pour mémoire, rappelons l'acte fondateur de la séparation des Eglises et de l'Etat , daté du 9 décembre 1905, acte que l'on était en droit de penser qu'il était définitif mais qui est aujourd'hui remis en cause par le communautarisme, ce que nous verrons dans un prochain article.
            Entre temps l'évolution se fera lentement. Le développement de l'esprit critique favorisera au XVIème siècle l'émergence de la Réforme protestante et engendrera des guerres civiles, dites de religion. A la Réforme s'opposera la Contre-Réforme, représentée principalement par le jésuitisme. La Compagnie de Jésus, fondée par un Espagnol, Ignace de Loyola, est un ordre séculier (et non régulier); il adopte cependant les trois règles de pauvreté, de chasteté et ajoute à celle d'obéissance, une obéissance bis, celle d'obéissance absolue au pape et l'ordre s'installe... au Vatican. C'est évidemment une entorse majeure au Concordat. Toutefois et paradoxalement, les Jésuites seront un facteur de progrès dans la mesure où leur œuvre principale sera l'enseignement. L'enseignement des prêtres d'abord, par la création des séminaires, puis de la bourgeoisie urbaine par la création des collèges. Notons que les Jésuites sont des intellectuels et s'illustreront dans tous les domaines , notamment scientifiques (citons à titre d'exemple, proche de nous,  l'anthropologue et préhistorien Teilhard de Chardin). Les collèges jésuites seront à l'origine de l'enseignement libre qui s'opposera à l'enseignement laïque des lycées napoléoniens.

            Revenons au déroulement chronologique. Le XVIIème siècle verra le gouvernement du royaume confié en grande partie à deux ... cardinaux: Richelieu et Mazarin, mais il ne faut pas se méprendre, le cardinalat est un titre honorifique et nos deux cardinaux n'ont pas fait preuve d'un esprit très chrétien et encore moins de soumission à la papauté. Toutefois, en érigeant l'absolutisme monarchique, ils ont conforté  l'édification d'une nation française, en réduisant à néant les tentatives de dissociation des familles princières. Au décès de Mazarin, Louis XIV pourra prendre en mains le pouvoir sans l'adjonction d'un premier ministre; l'Etat, c'est moi, même si cette citation est apocryphe, elle est le symbole du pouvoir royal sur les Parlements. Néanmoins cet étatisme, s'il renforce l'unité de la nation, est loin des idéaux laïques. Le XVIIIème siècle et ses Lumières (philosophiques) prépareront, à la fin du siècle, l'étape primordiale de la Révolution. Toutefois il nous faut tempérer l'enthousiasme que les historiens, adulateurs de la Révolution, ont accordé à ces dits philosophes des Lumières. C'est à Voltaire, (qui n'est peut-être pas le plus "lumineux" d'entre eux, mais le plus lu), que l'on doit la formule: "Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer". Nous sommes très éloignés de la laïcité, l'esprit des Lumières est laïciste et c'est cet esprit qui va triompher en 1789.

              Par opposition à la monarchie cléricale et au cléricalisme dans son ensemble, les valeurs laïques vont se trouver dénaturées en laïcisme: Constitution civile du clergé, persécution des prêtres réfractaires, nationalisation et donc spoliation des biens du clergé (dont la vente, qui ne rapportera rien à la Nation à cause de la chute des assignats, va profiter essentiellement à la grande bourgeoisie; ainsi, Talleyrand, à Valençay, va enrichir son domaine de 3000 ha. ne laissant aux paysans que quelques parcelles de mauvaises terres),  et n'oublions pas dans cette brève énumération, le génocide vendéen. Ces excès aboutiront à la Terreur, et à l'échec de la Révolution: réaction Thermidorienne, Consulat, Empire, restauration de la Monarchie !
      Néanmoins, l'esprit laïque ne va pas s'éteindre mais couver sous les cendres. Citons quelques déclarations pour mémoire:
  - 1844, déclaration De Guizot devant la chambre des pairs: " Non! L'Etat n'est pas athée, mais l'Etat est laïque, et doit rester laïque pour le salut de toutes les libertés que nous avons conquises".
 
- 1849, Edgar Quinet, dans L'Enseignement du peuple, oppose au dogme particulier enseigné par l'Eglise, la morale universelle laïque enseignée par l'instituteur (le bien nommé, garant des institutions en général, et de la laïcité en particulier).
  - 1866, et sous le 2nd Empire de Napoléon III, Victor Duruy réforme le Ecoles Normales et fait voter en 1867, l'organisation de lycées pour jeunes filles, créant ainsi une source d'institutrices, (même si l'application ne suit pas toujours, dans l'immédiateté, les décrets).
    Toutefois, pendant toute cette fin du XIXème siècle, nous sommes loin du concept même de laïcité; ce ne sera qu'un long combat entre cléricaux et anticléricaux, entre instituteurs, hussards de la République et les cléricaux représentés par les Frères des Ecoles chrétiennes (enseignement élémentaire) et Jésuites (enseignement secondaire).
     Il faudra attendre la IIIème République, Paul Bert et sa morale laïque, Jules Ferry  et les lois sur l'école publique, gratuite et obligatoire, pour voir apparaître, très timidement, le concept apaisant de  laïcité. Cf. le discours de Renan, en réponse au discours de réception à l'Académie française de Pasteur (27 avril 1882): "Deux faits prépondérants continuent à exercer leur action sociale: le premier, c'est le progrès continu de la laïcité, c'est-à-dire de l'Etat neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l'Eglise à lui obéir en ce point capital." Il faudra attendre la loi du 9 décembre 1905 pour que le concept-même de laïcité prenne forme:
      - il proclame la liberté de conscience;
      - garantit le libre exercice des cultes;
    - pose le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat: l'Etat n'est pas anti-religieux (laïcisme), il est a-religieux (laïcité) - la nuance est importante !

          Le principe posé, il y aura encore loin entre le principe et la réalité, du moins dans la première partie du XXème siècle. Laïque devient essentiellement un adjectif accolé à l'école, il efface les trois valeurs (publique, gratuite et obligatoire) comme les résumant toutes. L'opposition école laïque  et école libre est frontale. Le clivage va être sociétal - d'un côté  le peuple (celui des ouvriers), de l'autre les bourgeois - puis politique: l'école des rouges, l'école des blancs. Il est curieux de noter que dans les campagnes (la France avant 1939 est essentiellement rurale), les familles enverront les garçons  "à la laïque" et les filles "chez les sœurs" !  A partir des années 50, même si l'antagonisme persiste, le clivage va s'atténuer, c'est ce que nous appelons le syndrome Don Camillo. Peppone a remisé l'étoile rouge dans le tiroir de la commode,  faucille et marteau dans le râtelier de son atelier. Il ne reçoit plus l'aide de la grande sœur soviétique qui a explosé en vol; aux dernières élections il n'atteint plus les 5%, ce qui lui coûte fort cher ! Le militantisme sclérosé ne soulève plus les foules. De l'autre côté, Don Camillo ne va plus chez le coiffeur rafraîchir sa tonsure; il a tombé la soutane aux 33 boutons, symbole de la vie du Christ mais surtout une corvée qui l'engainait dans un étui, après avoir adopté le costume du clergyman il s'habille comme tout un chacun; il n'hésite pas à se dorer au soleil des plages; on dit même que certains, n'attendant pas la réforme vaticane qui viendra tôt ou tard, vivent maritalement. Par ailleurs, la crise des vocations a tari le recrutement des enseignants-clercs. Quoi qu'il en soit Peppone et Don Camillo sont toujours là. Ils n'oublient pas de se retrouver au Café du Commerce, devant un...kir*, bien évidemment, et, bardés de leurs convictions, refont le monde à grands coups d'anathèmes ! Nul doute que s'il arrivait malheur à Don Camillo, Peppone serait le premier à lui venir en aide, et inversement ! Car laïcité au-delà de la tolérance, est  foyer de compréhension et  de fraternité.
     *kir, apéritif à base de crême de cassis (1/4) et d'un blanc sec de Bourgogne (3/4). Il a été popularisé par le chanoine du même nom; grand résistant puis député maire de Dijon (de 1945 à 1968), il fut considéré comme notre Don Camillo national, son Peppone et ami ayant été Nikita Khrouchtchev.

          Qu'en est-il aujourd'hui ? le mot "laïcité" est dans son adolescence, au point qu'il est mal reconnu et qu'on lui accorde des sèmes erronés, parfois même contradictoires. Certains assimilent laïcité à  athéisme. C'est totalement faux. On peut être laïque et chrétien, laïque et musulman, nous reviendrons sur ce point. D'autres le confondent avec tolérance, au sens voltairien du terme, c'est également faux, parce qu'il n'appartient pas au même registre lexical. A Joué-lès-Tours, commune suburbaine importante de l'Indre-et-Loire, le maire avait cru bon d'ajouter le mot "laïcité" à la devise républicaine "liberté, égalité, fraternité". Dans le climat délétère du communautarisme, nous comprenons l'initiative de ce maire, mais la démarche était néanmoins maladroite: Liberté, Egalité, Fraternité font référence à des valeurs morales. "Laïcité" n'est pas un concept moral, c'est un principe de Droit, inscrit dans la Constitution, l'un des fondements mêmes de notre République une et indivisible, comme le stipule l'article 2 de la Constitution:   La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Ce principe constitutionnel respecte les religions, quelles qu'elles soient, mais leur retire tout droit d'ingérence politique: la religion appartient au domaine de la spiritualité et demeure un principe de conscience individuelle et ne doit pas interférer avec les lois qui régissent l'Etat. (A titre de comparaison, que stipule l'article 2 de la Constitution algérienne ? L'Islam est la religion de l'Etat", ce qui fit dire à Ferrat Abbas que l'Algérie n'était ni républicaine, ni démocratique, ni populaire ! Nous verrons, dans la suite de cet article, que la France, confrontée à l'afflux des migrants maghrébins, oppose une double réaction laïque: une laïcité "soft", prônée en grande partie - et pour des raisons électoralistes - par certaines fractions politiciennes, dites de gauche, et de l'autre une laïcité rigoureuse, authentique, dont les tenants, eux-mêmes issus de l’intelligentsia,  se font accuser d'islamophobie, et par glissements léonins, d'extrême-droite et de fascistes ! L'acte fondateur de la laïcité, n'est pas un épiphénomène, c'est l'aboutissement d'un long cheminement. Toutefois, ces deux courants, au sein de la laïcité, prouve que le concept même a perdu de sa force. L'adjectif (laïque) l'emporte sur le substantif (laïcité) et qualifie essentiellement l'école élémentaire, comme nous l'avons souligné. La déconstruction de l'Education nationale (que nous avons déjà évoquée mais qui fera l'objet d'une note spécifique) a considérablement affaibli le concept laïcité. Citons quelques étapes:
    - la suppression de l'enseignement de la morale (soi-disant "la carotte pour faire avancer les ânes"), suppression en prélude à mai-68;
    - la modification des vacances scolaires (non plus accordées pour des raisons pédagogiques qui prennent en compte l'intérêt des enfants, mais pour des raisons économiques, commerciales). Parmi ces modifications, l'avancement  des vacances scolaires au 30 juin a supprimé l'unique fête emblématique de la République: le 14 juillet, avec la non moins emblématique distribution des prix qui valorisait le travail des élèves (méritocratie);
   - la suppression des Ecoles Normales, où la pédagogie était dûment enseignée dans "les écoles d'application" par des maîtres compétents; les IUFM, créés pour les remplacer, supprimés puis ré-initialisés sous un autre vocable, n'ont été que de pseudo laboratoires psycho-sociologiques axés sur l'égalitarisme, c'est-à-dire le nivellement par le bas (médiocratie);
    - parallèlement à cet enseignement "égalitariste", la modification des programmes, l'interdiction aux maîtres et maîtresses de diffuser des "savoirs", qualifiés d'aliénants au profit de recherches personnelles de l'élève, ce qui, en parler simple, n'est autre que "mettre la charrue avant les bœufs" !
    - la politisation des syndicats, d'où leur éclatement interne et, pour conséquence, la dé-syndicalisation; etc.
    La déstructuration de l'Education Nationale, porteuse du concept, est évidemment capital, mais d'autres critères entrent en jeu et brouillent l'application de ce concept. Ainsi, la séparation de l'Etat et des Eglises implique la séparation du culturel et du cultuel. Or, les deux notions sont souvent impliquées (elle feront l'objet d'une note spécifique), nous  retenons, à titre d'exemple, la fête de Noël. Cette fête appartient-elle au domaine cultuel ou culturel ? Nous serions tenté de répondre: aux deux. Toutefois, l'un des deux aspects est dominant. Cultuellement, c'est la commémoration de la naissance de Jésus, qui au demeurant n'est pas né un 25 décembre ! Culturellement, c'est la fête de tous les enfants (suppléant dans certaines régions, celle de St.Nicolas). La pratique religieuse (15% seulement des chrétiens se déclarent pratiquants, et encore, une grande partie ne le serait que sporadiquement, précisément à Noël et à Pâques), la crise des vocations ne permettant plus aux prêtres de célébrer dans toutes les paroisses la messe de minuit, font que - dans la quasi totalité des familles - la fête profane ( sapin, père noël et cheminée) a très largement supplanté la fête religieuse et que le culturel l'emporte très largement sur le cultuel. S'attaquer au culturel - qui est le fondement même de notre civilisation - sous couvert de laïcité -  c'est en réalité une dégradation, une dénaturation, un retour au laïcisme - ce contre quoi nous devons lutter, pour protéger la laïcité de sa valeur républicaine et consensuelle.

      Nous mesurons ainsi que le concept mérite d'autres débats internes, sur lesquels nous reviendrons, mais pour l'heure, nous devons nous pencher sur cette terrible menace qui risque d'emporter, de détruire la laïcité: l'islamisme.

(Pour aborder la note suivante, complémentaire, consacrée à l'islamisme, revenir sur la page d'accueil de pythecos.)

     

                                                                        

Commentaires

  • tous ces articles me passionnent, je suis toujours à l'affût de ces publications!
    merci, Pythecos...
    J'attends la suite avec impatience.

Les commentaires sont fermés.