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NON à la suppression du latin et du grec dans les collèges !

singe-2.jpgVictoire, chantent en chœur les naïfs ! La ministre nous a entendus, c'est le retour aux fondamentaux: lecture, écriture, orthographe, calcul mental..... C'est être bien naïf d'imaginer que les "pédagogistes", ces fossoyeurs de l'Education Nationale, qui se lovent dans le giron du ministère, aient baissé pavillon ! La ficelle est si grosse que la dictée hebdomadaire, honnie de tous les potaches, devient même quotidienne ! Attendons l'application de cette réforme... Attendons de voir comment la jeune génération d'enseignants, qui n'a pas été nourrie au sain breuvage des humanités, interprétera cette réforme. Dans un quotidien régional, un responsable syndical criait déjà "au loup"! "La réforme ? Du baratin ! La seule vraie réforme est de donner davantage de moyens, de créer des postes, de diminuer le nombre d'élèves dans les classes". La Marseillaise des enseignants, entonnée depuis des lustres et des lustres. Le budget de l'Education Nationale ne cesse d'augmenter, parallèlement, les élèves savent de moins en moins lire, écrire, compter ! Quid du redoublement ? Quid du passage en 6ème ? La frontière entre l'école élémentaire et le collège est supprimée, c'est le Schengen imaginé par les "pédagogistes" : les CM (1 et 2) forment avec la 6ème un bloc commun; ce qui n'est pas acquis au CM le serait en 6ème ! Quid de la notation, de l'émulation, de l'encouragement à l'effort, du mérite? Quid de l'enseignement du latin et du grec ? La menace est si criante que la licence de lettres classiques et le CAPES correspondant sont supprimés ! Voici la bonne nouvelle venue de Bercy, qui se tait mais jubile: "l'enseignement des lettres classiques a un coût, tordons lui ...le cou ! Laissons ces illuminés chanter, avec Brel, leur rosa, rosae, rosarum, le combat cessera de lui-même, faute de combattants".

 

    Les coups de coeur de Philippe Meyer, dans son émission Esprit public, sont toujours à prendre avec bonheur. L'éminent journaliste a conseillé la lecture de l'ouvrage que vient de publier, aux éditions First (Paris), Thierry Grillet. Même sous un titre, qui  n'est peut-être pas très heureux: Homère, Virgile, indignez-vous" , ce petit manuel de moins de 100 pages, dans un style agréable, atteint le but recherché : " sauver le grec et le latin."
      Les classes de latin connaissent un grand succès auprès des élèves, elles sont surchargées "sinon plus dans les banlieues qu'en centre-ville". Soit, mais, dans les nombreux articles que nous avons pu lire, la parole n'est pas donnée aux élèves, aux latinistes eux-mêmes. A défaut d'être un jeune "apprenant" (en novlangue!), qu'il me soit permis d'évoquer ma propre expérience.
        Dans le lycée de province de mon enfance, le professeur de Lettres était toujours le prof "principal", ce qui lui donnait aura et autorité. je me souviens parfaitement des conseils donnés par l'éminent Lacou-Labarthe. Après les cours, commençait une seconde étape de travail: mettre à jour les notes prises en classe, parfois brouillonnes, alors qu'elles étaient encore fraîches. Ensuite, impérativement rédiger les exercices et réviser les leçons du lendemain. Et, quand le programme n'était pas trop chargé, "se mettre en avance", rédiger les devoirs à remettre à long terme puis s'adonner à des lectures libres. Le tout était consigné en ordre sur une feuille volante et nous rayions les tâches au fur et à mesure de leur exécution. Je suivais ces consignes mais - je trichais: j'allais directement à la version latine ou grecque. je ne comprends toujours pas comment un académicien a pu récemment déclarer avoir perdu son temps en versions latines, même si cette réflexion est probablement partagée par de nombreux autres potaches : peut-être avait-il eu des professeurs peu enthousiasmants, ou peut-être manquait-il de curiosité ? Je me souviens de mes premiers contacts avec le sacro-saint manuel latin "Cayrou".  D'abord le verbe être: sum, es, est, etc., j'étais stupéfait d'apprendre que les Romains parlaient français ! Avant, évidemment, d'inverser la proposition. Parfois je butais sur une énigme: puer/enfant, infans/infantis, ce serait plus simple. C'était là,  réflexion puérile ! Puéril - le puer latin jaillissait et s'inscrivait désormais en lettres d'or ! L'un des premiers mots que nous devions enregistrer était -ancilla - la servante, la bonne (à tour faire), quelle drôle d'idée, pourquoi pas "bona". J'avais du mal à retenir ce nom, quand, au seuil de la puberté, je découvris dans un texte l'expression "des amours ancillaires". Tout s'éclairait, le mot latin resurgissait et s'inscrivait à son tour, durablement, dans la mémoire. Chaque mot nouveau devenait une pierre précieuse que je rangeais, classais dans ma boite à bijoux. Vint ensuite et rapidement la phrase, simple d'abord, puis complexe. C'était comme un message codé, intercepté dans la poche d'un combattant ennemi, un message que je devais décoder au plus vite et transmettre au général en chef (le prof) pour éviter la catastrophe qui menaçait notre communauté. Plus tard ces enfantillages disparurent mais il y avait toujours dans mes traductions une part de rêve. Je cherchais d'abord le verbe, situé le plus souvent en fin de phrase, je cherchais ensuite  le nominatif sujet. La première déclinaison était piégeuse: le -a est-il nominatif ou ablatif ? Plus tard, latinistes aguerris, nous abordions la poésie: Horace, Virgile, Ovide....je consultais mon "Gradus ad Parnassum", mais pour l'heure le bizuth n'avait qu'un champ d'hypothèses à explorer ! Vint ensuite la phrase complexe, la phrase cicéronienne, si longue qu'on l'appelait "période". Il fallut relever les relatifs, les conjonctions de coordination et de subordination, les "cum", les "ut", décomposer la phrase en ses différents éléments, jouer avec les relatives, les conjonctives, les ablatifs absolus, les propositions nominales. Une fois le texte ainsi analysé, chaque pièce détachée clairement identifiée,  venait l'épreuve la plus redoutable, celle de la synthèse. Comment recomposer, en un français correct, ces éléments épars pour ne pas s'entendre dire par le juge-arbitre: "vous ne vous détachez pas suffisamment du mot à mot", ou, "vous vous éloignez trop du texte" ! Evidemment ces jugements venaient ternir ma joie, mais la future version était attendue avec la même impatience. Je me souciais fort peu de la "culture" latine (ou grecque). Tout était dans le plaisir ludique d'élucider le mystère d'un message codé. Toutefois, peu à peu, ces versions inlassablement répétées, je perçus -encore confusément- que je lisais de plus en plus facilement des textes en français, textes que je trouvais auparavant incompréhensibles.
       Le passage en 5ème fut pour moi une étape décisive. En récompense de notre travail, nous abordions, sous forme d'extraits, des "lectures suivies", en l'occurrence la Guerre des Gaules de César. Ma jubilation fut extrême, je ne pouvais pas attendre ! Je séchais les permanences et m'engouffrais dans la bibliothèque municipale, il n'y avait que la rue à traverser. Dès qu'il me voyait arriver, le guichetier me tendait le "De bello gallico", qu'il conservait près de lui; j'étais même dispensé de remplir la fiche cartonnée ! Je dessinais une carte des Gaules, je plaçais les différents 
peuples, je donnais une place prépondérante à Caesarodunum et aux Turons (!), je dessinais le site d'Alesia, les fortifications, les engins de guerre, les catapultes, les "onagres". Et dans la suite de la guerre des Gaules (quel imbécile ce Vercingétorix, il n'aurait pas dû se laisser enfermer!), j'attaquai avec la même fièvre le "de bello civili".

       Ainsi, le latin m'a fait découvrir les structures de ma propre langue: étymologie, syntaxe, figures de style et, d'histoire en histoire, m'a conduit à l'Histoire proprement dite et, probablement, donné l'esprit critique que j'essaie d'entretenir.
      J'ajouterai que le grec m'a procuré les mêmes plaisirs, les mêmes enseignements. Je soulignerai, toutefois, à l'entrée en 4ème, la découverte de nouveaux caractères d'écriture. L'écriture elle même devenait dessin. A l'exception du iota et de l'upsilon, classés sans intérêt, je me souviens de ces lignes tracées jusqu'à la maîtrise complète. J'aimais bien le dzéta avec son chapeau délié, son corps légèrement arrondi, son pied légèrement incurvé auquel on ajoute une virgule suffisamment marquée sans lui donner trop d'importance. La souplesse dans le poignet, Une réalisation soignée qui se voulait esthétique. De plus, le vocabulaire est d'une richesse inouïe: c'est le mécano d'antan, le lego d'aujourd'hui. Vous décomposez les mots et vous les recomposez à loisir. Prenons l'exemple de l'étymon thèkè (coffre où l'on range des biens précieux), associé aux livres  (biblos) vous obtenez une bibliothèque, mais vous  pouvez l'associer à des jeux, une ludothèque, à de la musique, une discothèque, et s'il me venait à l'idée de collectionner des fibules je pourrais créer un néologisme: une fibulothèque !
       Latin et grec ancien ne sont plus des langues parlées, mais elles ne sont pas mortes.Le grec, en particulier, est une fabrique constante de mots nouveaux, particulièrement techniques.Les linguistes affirment combien la connaissance de ces langues anciennes favorise l'apprentissage des langues romanes, et même au-delà. Dans l'ouvrage cité, Thierry Grillet donne en exemple le verbe anglais to procrastinate; ainsi, même les langues anglo-saxonnes n'échappent pas, même si l'influence est moindre, aux racines gréco-latines. Cet héritage est le ciment même de l'Europe.
        Que me reste t-il de cet enseignement scolaire? Apparemment,  peu de choses: j'aurais aujourd'hui bien du mal à traduire quelques lignes de Tacite. Demeurent le goût de la langue, du raisonnement logique, de l'Histoire, probablement une imprégnation profonde, culturelle. Mais qu'est-ce que la culture ? Sinon, selon l'adage, ce qui reste quand on a tout oublié !

    Là ne s'arrête pas,  à la lecture de l'éminent professeur, cette observation, une seconde s'impose: pourquoi cet acharnement des "pédagogistes" à déconstruire notre Education Nationale ?  Ce sera l'objet du prochain billet.

 

 

 

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