Vous évoquez les partis politiques, vous suggérez qu'ils sont entre
les mains de quelques oligarques et en conséquence qu'ils ne
sont pas démocratiques. Cette absence de démocratie
serait l'un des ferments du Coup d'Etat. ¨Pourriez-vous préciser
votre pensée ?
Bien volontiers. Ma réflexion est le fruit de mes propres expériences, volontaires ou accidentelles. A 18 ans je me suis trouvé projeté dans le monde du travail. Nous sortions tout juste des années de guerre et nous étions invités, nous les jeunes, à prendre des responsabilités. Nous étions l'avenir d'une France enfin libérée et heureuse. Je m'engageai donc avec enthousiasme dans l'action syndicale comme m'y avait invité avec insistance mon ancien directeur d'école. C'est à lui que je devais d'avoir été inscrit au DEPP qui donnait accès au lycée, et il était venu, en personne, plaider ma cause auprès de mes parents tout étonnés que l'un de leurs enfants puisse briguer un tel honneur : dans les familles modestes, on apprenait un métier et mon père comptait beaucoup sur moi pour reprendre son commerce artisanal. Dès les premières réunions je pris la parole (pour dire quoi ? je ne m'en souviens plus) toujours est-il que je fus approché par un mystérieux personnage qui m'invita à une réunion discrète qui allait se tenir dans une fermette...les élections municipales approchaient et l'on avait besoin de jeunes (suivirent une kyrielle d'attributs laudatifs auxquels ma naïveté se laissa prendre !). Le jour J, je remplis le réservoir de mon stylo, pris un bloc-notes et me laissai conduire à la dite réunion, présidée par un conseiller général. Il s'agissait en réalité d'un dîner champêtre. Je fus, à ma grande surprise, accueilli par des dames (tout "endimanchées" et "embijoutées" comme on disait dans ma famille) qui me pressèrent de questions, je dus "avouer" que mon père était boulanger, et ce fut un concert de louanges, et chacun de venir voir avec une curiosité appuyée "le P'tit Chose" ! On passa à table et je fus relégué tout au bout, sans vis à vis comme oublié, ignoré. Des bribes de phrases me parvenaient au milieu des rires, des traits qui se voulaient spirituels. A un moment donné j'entendis très nettement le conseiller dire avec suffisance " moi, la première chose que je regarde dans le journal c'est de chercher si je suis en photo" ! Tel fut mon baptême politique. Mon bloc-notes resta vierge. Quand on revint me chercher je déclinai l'offre, avec probablement des mots "pas très gentils" car j'ai toujours eu beaucoup de mal à réfréner mes colères !
Les années passèrent. L'Algérie d'abord, où je m'engageai pleinement, mai 68 ensuite provoquèrent en moi une résurgence de gratouillis politiciens. A ma grande surprise, je me suis retrouvé dans la modeste délégation départementale au célèbre congrès d'Epinay (le premier car il y en eut deux...le second, sans moi !). Je découvris les entrailles d'un parti politique ! Les votes étaient proportionnels au nombre de cotisations de chaque fédération et dans le département il n'y avait pas pléthore. Par contre les deux locomotives étaient celles de Lille et de Marseille, en d'autres termes, Mauroy et Defferre qui, systématiquement, offraient gratuitement (me dit-on), une carte du parti à tous leurs employés municipaux, fort nombreux certes, mais comme ladite cotisation n'était pas élevée, la mise de fonds était politiquement rentable ! Là ne s'arrêtaient pas mon étonnement, un orateur s'égosillait sur la scène, que bien peu écoutaient et pour cause, les "tractations" - qui devaient aboutir au vote de la résolution finale - se déroulaient par petits groupes dans les couloirs et si, par curiosité, vous approchiez un peu trop près, le silence devenait assourdissant ! Je revins de ce congrès fort perplexe mais pas totalement découragé. Les élections municipales approchaient et la liste du parti gaulliste allait être conduite par Michel Debré - à qui j'en voulais énormément pour avoir trahi ses idées et cautionné la perte de l'Algérie. De surcroît, j'étais motivé à l'idée de prendre le relais de mon grand-père qui avait été maire de la ville (du moins d'une partie de sa ville avant la fusion de deux communes). J'étais trop jeune et inexpérimenté pour prendre la tête de la liste et briguer la mairie, je jouai l'Union de la Gauche - mais les divers contacts avec le PC se révélèrent totalement impossibles, étant données leurs exigences. Je convaincs donc un pharmacien de la ville, connu pour sa probité et qui, de surcroît, avait été suppléant du député radical de la circonscription. L'accord obtenu, je réunis la section pour la mettre "en état de marche", à commencer par le choix des volontaires que je voulais représentant chacun un quartier, un ilot, et chacun porteur de compétences variées et complémentaires. La salle de réunion n'était pas très grande mais elle était pleine et j'en éprouvais une vive satisfaction. Je montai sur l'estrade pour l'accueil et les remerciements d'usage, quand je vis arriver le secrétaire départemental, que j'avais informé, accompagné de deux inconnus. Après d'hypocrites compliments adressés à la salle et à moi-même, le secrétaire départemental présenta l'un des deux inconnus qui avait été choisi par le "parti" pour diriger la liste. Je me voyais, sans aucun préalable, flanqué d'un "parachuté" totalement inconnu dans la cité et je devais annoncer à mon pharmacien, un fort honnête homme, qu'il était personna non grata ! J'adressai quelques mots à la salle, déchirai ma carte du parti en 4 morceaux, les déposai sur la table et me retirai le plus dignement que je pus. Je constituai néanmoins ma liste, le parachuté la sienne. A cette époque le scrutin était nominal (on pouvait sur chaque liste barrer des noms et, à la limite, les remplacer). Mon pharmacien tête de liste fut élu, moins connu j'arrivai en 4ème position, je dépassai les 1000 mais il me manquait quelques dizaines de voix. Le parachuté obtint quelques centaines de voix (200 je crois), c'est à dire très peu, si ces voix ne nous avaient pas été retirées, notre liste passait largement et dans sa totalité et nous aurions infligé à Debré une défaite qui eut été historique. Cette expérience eut un effet heureux, je fus inspecté dans ma classe et prié de déguerpir au plus vite et le plus loin possible de la circonscription. Comme je n'ai jamais été sensible aux injonctions et que j'avais l'oreille très dure, je fus revisité (ce qui n'est pas inspecté), le ton avait changé, j'étais soudain devenu un enseignement "remarquable" et qu'il était vraiment "dommageable de moisir dans une école à classe unique" (le terme moisir est inexact, pour l'heure je ne me souviens plus du terme exact). Quoi qu'il en soit, enseigner dans une classe unique, c'était moisir ! je défendis mes élèves (avec conviction, car j'étais très attaché à eux) mais ne refusai pas une promotion. J'acceptai précisément un poste de directeur, poste qui se libérait, dans la ville même où j'avais mené ma campagne électorale. L'interlocuteur tourna au rouge pivoine et je devinai au frémissement des extrémités des membres tant inférieurs que supérieurs les signes d'une violente explosion. Le héraut me proposa une admission au centre PEGC, un centre de formation pour professeurs de collège. J'acceptai tout en cachant ma satisfaction. Je fus donc admis, je fis valoir mes diplômes universitaires, j'enseignai pendant deux ans en collège tout en préparant le Capes auquel je fus reçu et poursuivis ma carrière en lycée. Heureuse conclusion d'une campagne électorale qui ne m'aurait pas donné droit à autant de considération si je m'étais présenté contre un candidat lambda et non contre une haute personnalité gaulliste. Ces éclaboussures font aussi partie -et largement- de la République des partis, autrement dit d'une politique partisane !
Là ne s'arrêtent pas mes expériences en politique. je me limite à ces deux exemples (les premiers de ma vie de citoyen-électeur, sans aucune ambition élective, avec le seul désir d'apporter aux débats des idées positives et utiles. Je fus néanmoins à chaque fois repoussé, pris probablement pour un ambitieux qu'il serait dangereux d'introduire dans la bergerie, ce qui n'a jamais été dans mes intentions. Tout en m'imposant d'être bref, pour ne pas noyer mon propos, je me sens contraint de rajouter deux anecdotes. En 1984, j'eus l'idée d'organiser un open d'échecs international (participaient plusieurs Maîtres internationaux des pays de l'Est, un Australien, plusieurs sud-Américains et quantité d'Européens, soit près de 150 joueurs). A cet open était couplé le championnat de France féminin. Le tout reposait sur mes frêles épaules et je comptais sur la municipalité pour m'aider en me proposant les salles accueillantes du château, l'aide manuelle de quelques employés municipaux la veille de compétition qui se déroulait sur une semaine, une aide aussi pour répartir les demandes d'hébergement car non seulement, il fallait loger les joueurs, mais aussi les accompagnateurs. Curieusement ma banque me refusa toute subside, je dus en changer illico pour obtenir un minimum de fonds pour corser les prix à distribuer aux différents vainqueurs. Quant à la mairie, elle m'ignora. Le maire refusa d'inaugurer la compétition et d'assister à la distribution des prix alors que l'une de mes élèves fut sacrée championne de France dans la catégorie cadette ! Cet open eut un énorme retentissement dans la ville et je devins l'homme à abattre: trop dangereux. Effectivement, à quelques mois de là, lors d'une campagne électorale le maire fit venir un "politique" régional, le bruit courut que j'allais apporter la contradiction, ce dont je n'avais absolument pas du tout l'intention. Et je ris le lendemain matin, en apprenant que ladite personnalité avait fait venir un car de supporters et quelques gros bras chargés de m'interdire l'entrée dans la salle. ces exemples, qui prennent trop d'importance dans le débat proprement dit, pour montrer que je connais bien les partis politiques et que ma vision n'a rien de théorique.
Un parti politique est composé de citoyens élus (ou anciens élus) et de militants dits de base, ceux que Raffarin avait qualifié de "gens d'en haut et gens d'en bas". Les gens d'en haut sont peu nombreux et veillent jalousement à le rester, d'où le terme oligarques. Ils se congratulent, s'adressent à longueur de mandat des témoignages d'amitié et de fidélité en tenant dans le dos un poignard prêt à assassiner le concurrent qui ferait obstacle. C'est le règne des ambitions personnelles et de l'hypocrisie. La récente élection présidentielle, au cœur de notre entretien, en offre de vivants exemples. La plupart d'entre eux se préoccupent davantage de leur avenir personnel et fort peu de l'avenir de la France et des Français.
En théorie, les députés sont sensés avoir un pied dans la circonscription qu'ils représentent, ils louent à cet effet une "permanence". Ils sont sensés recueillir les états d'âmes de leurs concitoyens, inspirer leurs réflexions et les solutions qu'ils s'engagent à présenter, pour améliorer et faire progresser les problèmes sociétaux, etc.
En réalité, les militants de base sont rarement désintéressés; ils assaillent le "permanent" du député pour obtenir des petits avantages personnels, pour la fille qui...le garçon qui... un permis de...etc. Les plus vaillants s'engagent en contrepartie à distribuer les tracts, faire les boites aux lettres, applaudir (plus familièrement "faire la claque"), et surtout "cracher au bassinet", etc.
Les élus (d'en haut) sont sensés organiser des réunions de concertation avec ceux (d'en bas) pour enregistrer leurs doléances, leurs propositions constructives, etc. Mais le député est tellement occupé par les problèmes d'en haut que ceux d'en bas ne peuvent pas comprendre que les dites réunions n'ont lieu qu'à l'approche des élections (en général 3 mois) . Et il n'est pas question de débattre d'idées, non, la menace est trop grande c'est un complot de la Gauche contre la Droite ou l'inverse (dans ma prime jeunesse c'étaient les Blancs et les Rouges), il faut s'organiser, lutter, et de distribuer les rôles, de nommer les responsables de rues, de quartiers, tellement flattés d'un tel honneur...alors oui, la France sera sauvée, ce qui signifie platement que le candidat sera réélu et pourra jouir en toute quiétude des avantages acquis en attendant la prochaine échéance.
Alors, vous aussi, tous pourris ?
Non, bien sûr, c'est une caricature. J'ai connu des politiques désintéressés et sincères, efficaces, de "vrais" politiques, j'ai pour habitude de citer Jean Royer; aujourd'hui Simone Veil vient de nous quitter (comme on dit pudiquement) et tous de reconnaître la sincérité et la hauteur de son engagement (y compris, ceux qui, à une certaine époque, l'avaient traînée dans le boue...) et ils ne sont pas seuls. Mais combien ? Sont-ils si nombreux ?
Nous venons d'assister à une révolution. Le XXème siècle est mort et avec lui les partis traditionnels. Plus rien ne pourra se passer comme avant. Les gens d'en-bas ne sont plus des ignares, "des gens qui ne sont rien" comme l'a annoncé avec mépris le Jupiter Macron ! Nombreuses sont les personnes cultivées, entreprenantes, capables d'assumer des responsabilités, les plus hautes soient elles. Les députés ne peuvent plus être des missi dominici, les envoyés du seigneur-président, au garde-à-vous et à l'applaudimètre mais des missi populi, les envoyés du peuple, et quand ils ont dit et réalisé ce qu'ils avaient à dire et à réaliser, ils doivent s'effacer et céder la placer à d'autres compétents. Et je suis contre la limitation des mandats dans la durée. Un grand nombre n'auront rien dit pendant 5 ans, n'auront présenté aucun amendement constructif, ceux là doivent céder leur place (et je n'évoque pas ceux qui auront brillé par leur absence, ce que je considère comme une usurpation); certains auront exercé réellement leur mandat, ils peuvent prévaloir une réélection, mais au-delà des 10 ans, auront-ils encore suffisamment d' "idées", n'auront-ils pas user leurs capacités de propositions ? Ils devront se retirer à leur tour. Mais il peut y avoir des esprits particulièrement exceptionnels, pourquoi se priverait-on de leurs services ? Je maintiendrais une loi héritée de la 3ème République : ne peuvent accéder aux responsabilités parlementaires et, a fortiori, à la responsabilité présidentielle que des candidats ayant déjà confirmé leurs capacités par un ou plusieurs mandats électifs.
Je me permets d'ajouter une notule à propos d'un élément récent : pour le vote du projet de loi prolongeant l'état d'urgence, seuls 150 députés sur les 577 étaient présents dans l'hémicycle (!) Les 427 absents vont-ils être sanctionnés et leurs émoluments diminués proportionnellement ? Ce sont pourtant eux qui vont sanctionner le jour de carence ! A entendre ces "marcheurs" ils vont moraliser la vie publique.... tout en conservant leurs privilèges, ces derniers seraient-ils éhontés !