Vous prétendez que la 5ème République est née d'un Coup d'Etat, je pense
que votre affirmation mériterait une plus ample justification.
Plus d'un demi-siècle est passé et l'aura du général n'est pas ternie, à un point tel que nombreux sont les politiciens, dont certains n'étaient même pas nés à cette époque, qui continuent à revendiquer l'héritage gaullien. Dans une conférence célèbre (19 mai 1958) de Gaulle s'était élevé, lui-même, contre l'accusation de dictature qui lui était faite: "Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans je commence une carrière de dictateur?"
Votre question est pertinente. Mais il s'agit bien d'un Coup d'Etat qui faisait suite à une menace de Putsch. Sous-lieutenant (appelé du contingent) j'étais alors à Coëtquidam, j'ai vécu de l'intérieur les événements de mai 58 et je peux en témoigner. A Paris la crise ministérielle n'en finit pas. Après la démission de Félix Gaillard (15 avril), la France est restée près d'un mois sans gouvernement. Pressenti, Pierre Pfimlin, dans son programme de gouvernement, propose de négocier avec le FLN. En métropole, à l'exception d'une minorité gauchiste qui soutient le FLN, l'opinion est indifférente, elle souhaiterait plutôt la fin des opérations et le retour des appelés, mais c'est le "j'm'en foutisme" qui prévaut. A contrario, en Algérie, la population est inquiète et les généraux sont exacerbés par leur impuissance "civile" devant le terrorisme. L'exacerbation est à son comble quand on apprend que 3 prisonniers de guerre (en Tunisie, néanmoins indépendante depuis deux ans) ont été fusillés par l'ALN: le sergent Richomme et les soldats Decourteix et Feuillebois. Une manifestation monstre s'organise : les Algérois, européens et indigènes confondus, se réunissent autour du monument aux morts d'Alger. Le 15 mai, un Comité de Salut Public est créé à l'instigation d'un étudiant, Pierre Lagaillarde, et du général Salan, commandant en chef de l'armée d'Algérie; ce Comité fait appel au général de Gaulle. Lequel sort de sa retraite, convoque les journalistes et donne, le 19, une conférence de presse (cf.supra). De Gaulle condamne le parlement et le régime des partis et se dit prêt à "assumer les pouvoirs de la République" tout en précisant que "dans un moment exceptionnel ce ne pourrait pas se faire suivant la procédure habituelle et qu'il faudra adopter une procédure exceptionnelle." (la citation est peut-être inexacte, mais je ne pense pas en avoir déformé l'esprit). A Alger, les militaires se tiennent prêts à intervenir, pour le cas où le général ne serait pas investi. A titre d'avertissement, l'opération "Résurrection" a un début d'exécution: des paras sont aéroportés sur la Corse où un second Comité de Salut Public est créé. A Coët, on murmure qu'un détachement de blindés est prêt à se diriger sur Paris, que les généraux Salan et Massu vont être parachutés sur la capitale, où une armurerie aurait été pillée et les armes distribuées aux communistes. Vérité ? Intox ? Nous sommes à la fois excités par l'événement et très inquiets car nous désapprouvons une intervention armée et nous craignons les conséquences qui s'en suivraient. (Depuis les historiens ont révélé que tout avait été manipulé par les agents de de Gaulle.) Quoi qu'il en soit, le putsch n'aura pas lieu car, le 1er juin, le président Coty révoque Pfimlin et nomme de Gaulle président du Conseil. ( Ce qui est anticonstitutionnel, le président devant être choisi parmi les membres du Congrès (député ou sénateur) et, de fait, être un élu de la nation, ce que n'était pas de Gaulle ). Quoi qu'il en soit, à Coët c'est le soulagement général et je bénéficie d'une permission de 48 h. (!)
Seconde entorse à la légalité.: de Gaulle annonce une réforme de la Constitution qui doit mettre le Parlement sous le boisseau et donner au Président les pleins pouvoirs. Cependant, il n'est pas question de faire appel à une Assemblée Constituante, Michel Debré, garde des sceaux, entouré de quelques juristes, est requis de rédiger ladite Constitution. Le projet est approuvé par referendum (79,5% de oui). La Constitution stipule que le Président sera élu par un collège de 80 000 " Grands Electeurs" (députés, sénateurs, conseillers généraux, maires et adjoints). C'est ce mode qui est adopté pour l'élection présidentielle du 5 décembre 1958, mais un nouveau referendum, en 1962, modifie cette disposition et stipule que l'élection présidentielle aura lieu au suffrage universel direct. En apparence, .les principes d'une république démocratique parlementaire sont sauvegardés, mais les pouvoirs du Président sont tels qu'il s'agit en réalité d'une république parlementaire d'essence monarchique.
Avant de conclure cette évocation de l'année 1958, où tout a basculé, je m'adresse à ceux d'entre nous qui, alors âgés d'au moins 21 ans, ont voté et je leur demande s'ils avaient - à cette époque - conscience d'avoir vécu un Coup d'Etat.
( à suivre, la Cinquième République)