Une date qui demeurera dans l'Histoire comme 1415, 1515, 1610, 1715, 1815, 1914-1918. L'élection présidentielle marque la fin d'une époque et le début d'une ère nouvelle. Fruit d'un coup d'état institutionnel, les médias ont porté à la Présidence de la République un adulescent, brillant certes et sympathique, mais qui n'a exercé - comme le veut la coutume républicaine - aucun mandat électif. Cette révolution s'apparente à un coup d'Etat consulaire, comme celui de Bonaparte et celui de son très "républicain" neveu ! Espérons que les risques de désordres soient vains et ne nous conduisent à un régime autoritaire, pour ne pas dire plus.
Est-ce que vous n'allez pas trop vite en besogne, le deuxième tour n'a pas encore eu lieu !
Ce deuxième tour ne sera qu'une formalité. Le nombre des abstentionnistes va augmenter, ainsi que les votes blancs et nuls, Madame Le Pen va faire un score historique dont elle se prévaudra aux législatives qui vont suivre, mais elle est dans l'impossibilité d'atteindre la majorité absolue.
Vous employez des mots forts: révolution, coup d'état. Ces termes n'ont-ils pas dépassé votre pensée qui serait empreinte de ressentiment, de colère.
Absolument pas, je les maintiens et je les développerai, mais pas maintenant. Je préfère, comme toujours, donner du temps au temps, observer les événements qui vont marquer ce deuxième tour, le troisième étant celui des législatives. Contrairement à ce que vous insinuez, je ne suis pas partisan, j'observe en historien, notant au jour le jour ce qui sera l'histoire de demain. Je ne suis pas Madame Soleil et je ne pouvais arrêter cette date du 23 avril, mais j'avais prévu un événement qui se produirait entre 2010 et 2020 en fonction de mes observations concernant l'évolution, les étapes de celle-ci étant séculaires. Cette théorie, plus modestement ce constat, je l'évoquais dans mes cours... et ce n'était pas hier, ni avant-hier, c'était il y a plus de trois décennies, et je me souviens de l'intérêt qu'y portaient mes élèves.
Soit, vous évoquez 1415, je suppose que vous faites allusion à la bataille d'Azincourt, comment pouvez-vous rapprocher une bataille et une élection ! Et pourquoi ne remontez-vous pas plus haut ?
Ce n'est pas l'intention qui me manquait mais les connaissances. Ce qui manque dans une vie, c'est le temps. Je me suis beaucoup investi dans l'étude du Moyen Age, j'ai transcrit de nombreux parchemins originaux du XIIème et XIIIème siècles, lorsque j'ai étudié l'abbaye de Barzelle, mais je ne suis pas allé assez loin pour avoir une lecture globale de ces deux siècles. Je le regrette, évidemment ! Je repousse sans cesse au lendemain mais ces lendemains deviennent chaque jour de plus en plus aléatoires !
Azincourt ! J'aurai pu choisir Crécy, Poitiers... à l'autre extrémité... la Pucelle à Orléans, à Reims, à Rouen sur le bûcher, ou tout autre bataille qui chaque année, pendant plus de 100 ans ont émaillé le conflit entre les deux royaumes, de France et d'Angleterre, tout en précisant que la cour d'Angleterre était française comme en témoigne encore aujourd'hui la devise du royaume : "Honni soit qui mal y pense" et que la guerre dite de " 100 ans " s'apparente plus à une guerre civile qu'à une guerre nationale.
Azincourt, c'est l'hécatombe de la noblesse française: 6 000 gentilshommes, dont le connétable, 4 princes de sang auxquels il faut ajouter 1000 autres gentilshommes prisonniers, plus les gentilshommes français (Aquitains, Angevins, Normands...) qui combattaient dans l'armée "anglaise". Une hécatombe, la noblesse d'épée décapitée. Je n'insisterai pas sur les conséquences développées largement dans les manuels scolaires: le changement tactique dans les combats qui désormais éviteront les corps à corps, le passage d'une monarchie nobiliaire à une monarchie robine, etc. J'insisterai sur une autre conséquence, moins connue et pourtant capitale: la réforme agraire et la naissance d'une petite "bourgeoisie" rurale, celle des laboureurs.
L'hécatombe des gentilshommes, avec comme corollaire la diminution des vocations monastiques, auxquelles il faut ajouter l'insécurité qui régnait dans le royaume, n'ont plus donné la possibilité pour le seigneur ou pour les abbés de pratiquer le faire-valoir direct. En conséquence, les propriétaires terriens ont été dans l'obligation d'affermer leurs terres moyennant un cens qui, à la suite de dévaluations successives, deviendra extrêmement faible. A côté du "fermage" s'est développé le "métayage": le partage en deux parties égales des récoltes. Quoi qu'il en soit, si les paysans n'étaient pas encore propriétaires de leurs terres, ils pouvaient en disposer à leur guise, les cultiver avec d'autant plus d'ardeur que le bénéfice leur revenait, ils pouvaient les donner en héritage à leurs enfants, etc. Un côté anecdotique mérite d'être souligné: dès que le paysan devenait fermier de sa terre, il s'empressait de matérialiser sa possession en lui donnant son nom; ex: Baillaud en ajoutant le suffixe latin -aria (qui appartient à) , d'où Baillaudaria et par déformation patoisante: Baillaudière. (Cette pratique persista les siècles suivants: au XVIème siècle, le latin ayant retrouvé un usage courant, particulièrement dans le langage juridique, le suffixe -aria deviendra -erie = la Baillauderie et au XVIIème, on supprimera le suffixe = les Baillaud). Cette révolution agraire revêtira bien d'autres aspects, en particulier la naissance des "partionneries" plus connues sous le nom de parsonneries, mais ceci est une autre histoire, passionnante certes, mais elle dépasse le cadre de cet article.
Retenons qu'Azincourt marque le passage du XIVème au XVème siècle.
(à suivre)