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Latin au collège: oui ? non ?

 singe-2.jpgDans l'article de Jacques Julliard que nous avons cité (Marianne,n°949) un encart signé  Pierre Nora pose le problème de la maintenance du latin en collège. Cet article nous apparaît fort ambigu.

     Fort justement, l'historien fait valoir que l'enseignement du latin n'a cessé de décliner depuis plus d'un siècle (laissant entendre que son abandon définitif est inexorable); l'académicien fait valoir, qu'après des centaines d'heures de thèmes et de versions, un latiniste est incapable de lire dans le texte Virgile et Tacite (le jugement est peut-être sévère mais probablement proche de la réalité, d'autant plus que les heures consacrées au latin ont été considérablement diminuées : à titre d'exemple, que sont devenues les trois préparations latines et les trois préparations grecques hebdomadaires, auxquelles étaient ajoutés, alternativement, une version et un thème latin ou grec ?) L'auteur de l'article en conclut que ces heures consacrées au latin seraient plus utiles si elles étaient consacrées au français ! Première ambiguïté, il n'est pas prouvé que ces heures consacrées au latin aient nui à l'apprentissage du français et que les latinistes soient particulièrement déficients en grammaire, en orthographe et en expression écrite proprement dite.
      Pierre Nora dénonce ensuite la chute des heures consacrées au français dans les collèges depuis les années 70-80, ainsi que l'abandon des méthodes d'apprentissage et celui de la pratique des textes; c'est une réalité incontestable, mais cette chute des heures de français à l'emploi du temps d'un collégien est-elle due à une inflation des heures consacrées au latin ? C'est bien l'enseignement du français et celui du latin qui sont sacrifiés par les "pédagogistes" responsables des programmes. Enfin, l'auteur de l'article fait valoir qu'un enfant, qui entre en 6ème, en ayant pour tout bagage un vocabulaire restreint de 300 mots n'a aucun avenir scolaire, intellectuel, social. Nous sommes pleinement d'accord mais nouvelle ambiguïté: en quoi le latin intervient-il dans cette insuffisance de connaissances syntaxiques, lexicales, orthographiques ? Le latin n'est pas enseigné dans les écoles élémentaires.
     Les causes de ce semi-abandon de l'enseignement du français sont évidemment multiples; elles ne sont pas uniquement dues aux déficiences du système scolaire mais sont en grande partie sociétales. Laissons ces dernières et soulignons les causes d'ordre scolaire. La loi Haby, instituant le collège unique, était une loi généreuse et personnellement nous l'avons applaudie. Hélas, elle s'est révélée utopique. En effet, quelles que soient les qualités de l'enseignement élémentaire, les disparités sont telles à l'entrée en 6ème d'une "classe d'âge" (origine, formation, degré de culture) qu'elles se répercuteront pendant toute le scolarité, aboutissant à des rejets du système. L'E.N. a bien essayé de palier ces disparités en créant des classes de transition, mais le système s'est montré inefficace; qui plus est, il accentuait les disparités sociales. Les "pédagogistes" se sont écriés: "les programmes sont trop ambitieux ! diminuons les programmes". Et "on" est allé de diminution en simplification pour s'aligner sur le niveau le plus bas d'enseignement, avec le fallacieux prétexte que les "bons" élèves parviendront toujours à "se débrouiller". La réalité a été que les "bons" élèves sont devenus médiocres par manque de travail et que les familles aisées ont offert à leurs enfants des cours particuliers, ou bien elles les ont inscrits dans des établissements où des méthodes et des programmes de qualité étaient maintenus, établissements dits d'excellence, aggravant les disparités sociales que l'on voulait précisément aplanir !
       De plus, la création du collège unique a fait disparaître rapidement les classes de fin d'études (12-14 ans). Or, l'enseignement dans les écoles élémentaires formait un tout cohérent; c'est au cours des deux dernières années que les connaissances étaient ancrées, depuis l'élémentaire écriture (graphie) jusqu'aux difficultés orthographiques maîtrisées, une connaissance arithmétique concrète, etc... L'examen du CEP (Certificat d'études) était très exigeant: quel que fût le nombre de points obtenus, un zéro était éliminatoire (la dictée était l'épreuve redoutée entre toutes). Ajoutons que les différentes disciplines étaient enseignées par un maître (ou une maîtresse) unique, lequel maître, connaissant les forces et faiblesses de chaque élève, pouvait facilement redresser les erreurs. Si l'entrée en sixième a été facilement maîtrisée par les élèves les plus doués qui faisaient preuve d'une maturité avancée, un grand nombre d'élèves, aux connaissances encore fragiles, furent littéralement "déboussolés". Leur inadaptation entraîna, comme nous l'avons souligné, la baisse progressive des programmes.
      Il est une autre raison, plus insidieuse et plus gravissime pour l'enseignement de la langue: une raison philosophique qui consiste à faire prévaloir la "synchronie" sur la "diachronie". La diachronie était un point de vue qui plaçait "l'objet" dans son développement historique et lui donnait une cohérence logique. Exemples: 
-l'enseignement de l'histoire s'appuyait sur la chronologie. Parvenu au Certificat d'études, l'élève possédait un  triptyque cartonné où toutes les dates repères figuraient dans un ordre clair et précis; (elles commençaient par l'inévitable -3000 av.J.Ch: construction des pyramides); la mémoire était ainsi structurée, l'élève ne risquait pas de confondre Charlemagne et Napoléon !
-en sciences, l'étude de l'eau menait à l'effet de la chaleur, à l'étude géographique des nuages et du climat, mais aussi au circuit de la vapeur d'eau dans les lessiveuses !
-la grammaire était "historique" et s'appuyait sur l'évolution de la langue, elle était "copiée" sur la grammaire latine (cf. grammaire Larousse), et les exemples empruntés aux meilleurs écrivains (textes dits littéraires). Les progrès de la "science du langage" (linguistique) vont révolutionner l'enseignement de la grammaire: " On ne veut plus de la dictée / questions, de la répétition de paradigmes invariables (analyses grammaticales et logiques), de la vieille explication des textes, on sait trop que cela correspond à un apprentissage du latin, à une logique périmée, à une organisation de l'école profondément remise en cause". (Genouvrier, linguistique et enseignement du français, Larousse, 1970, page 3). Je n'ai rien, personnellement, contre la linguistique, qui a profondément remis en cause ma propre réflexion sur la langue, mais la linguistique est de niveau universitaire. Vouloir l'imposer au cycle élémentaire ou dans le premier cycle des collèges est une aberration. C'est l'intrusion dans le vocabulaire de termes abstraits qui dépassent de très loin l'entendement d'un enfant et le détourne... de la grammaire ! Il en était de même de l'apprentissage du vocabulaire qui s'appuyait sur les fameuses "familles de mots" qu'il ne faut pas confondre avec les "champs lexicaux" de nos grammaires actuelles. Le maître partait d'un "radical" (le plus souvent emprunté au latin) et développait en y ajoutant des suffixes, ou en le faisant précéder de préfixes comme le traditionnel "char" (au passage on apprenait que tous les composés prenaient deux /r/, sauf le mot chariot qui  n'en prenait qu'un. Et cette particularité s'ancrait facilement dans la mémoire. Les analyses logiques s'appuyaient également sur la grammaire latine et permettaient à l'élève de "démonter" une phrase complexe, donc d'en saisir le sens. Combien d'élèves aujourd'hui, échouent dans leurs différents "examens" parce qu'ils ne comprennent pas les questions posées !
   Aujourd'hui, l'enseignement s'appuie sur le synchronisme de la langue parlée en un lieu donné, à un moment donné. C'est, dit-on, placer l'enfant au cœur de la vie. Au texte d'auteur, on préfère le micro et l'interview, les émissions télévisées....On dénonce l'école traditionnelle, qualifiée d' impérialiste (Genouvrier, op.cit.), on lui oppose "le grand défi de la création, de la liberté, du bonheur". "La tradition scolaire est maintenant inacceptable (...) C'est à l'élève de faire, lui-même, l'effort nécessaire de réflexion sur la langue elle-même". On est en droit de se demander si le "pédagogiste" en question a quelquefois enseigné dans une classe élémentaire ou de collège ! (En écrivant ces lignes, une anecdote me revient à l'esprit : j'écoutais, il y a quelques années, une émission sur France-Culture consacrée à Balzac. Un instituteur était interviewé, il répondit (je cite de mémoire) "Bof, oui, c'est pas mal, mais il faudrait supprimer toutes les descriptions !" C'est ce même instituteur qui préconisait l'orthographe phonétique. Je suppose qu'il devait lui-même être confronté à de sérieuses lacunes !)
    Je pourrais multiplier les effets néfastes de la "nouvelle grammaire", plus généralement des réformes successives qui ont abaissé le niveau des études et provoqué une cassure sociétale entre les classes privilégiées, qui passent outre ces réformes, et les classes populaires soumises au "système" et abêties.
    Je voudrais toutefois revenir sur l'encart de Pierre Nora. Apprend-on le latin pour être capable de lire Tacite, dans le texte ? Enseigne-t-on les lois de la perspectives pour faire de nos élèves des architectes ? Enseigne-t-on la règle de trois et les pourcentages pour faire de nos élèves des experts comptables ?(Un élève, devenu adulte, aura-t-il une fois dans sa vie l'occasion de faire une division à virgule, ou la multiplication d'un nombre complexe ? L'enseignement élémentaire et secondaire a-t-il un but professionnel ou un but formateur de l'esprit (curiosité, réflexion, logique, critique, etc.) ?

   Il est évident, quelles que soient les dénégations des pédagogistes, que la langue française est fille du latin (et du grec, que nous lions car ils sont inséparables l'un de l'autre); la connaissance des langes anciennes permet une meilleure connaissance de la langue française, tant au niveau sémantique que syntaxique et par voie de conséquence ... orthographique. Comment exprimer une idée claire et précise avec un vocabulaire hésitant pour ne pas dire inadéquat ? 
 Moins évident, mais reconnu par les linguistes, les langues anciennes étant à l'origine des langues romanes, l'apprentissage de l'espagnol, de l'italien (entre autres) s'en trouve facilité. 
   Autre évidence, la civilisation gréco-latine est à la base même de notre propre culture. Nous y faisons sans cesse référence dans des domaines aussi divers que les arts plastiques et la littérature, certes, mais aussi l'architecture, la médecine, la philosophie,  les sciences . Sur ce point, j'attire l'attention sur le fait que l'accès à la culture, (peut-être négligeable pour des enfants nés dans des milieux aisés et cultivés, comme le fut Pierre Nora), est extrêmement gratifiant pour des élèves nés dans des milieux modestes: des expériences, menées dans des zones dites prioritaires, prouvent que l'enseignement du latin remporte un net succès. Et cette valorisation ne date pas d'aujourd'hui: j'appartiens à la même promotion que celle de M.Nora, en 1948, dans mon lycée de province, les 16 élèves de 1ère A étaient en grande partie issus d'une classe dite populaire, quant aux 4 élèves de A' (latin-grec-maths), 1 seul était considéré comme issu de la classe bourgeoise. L'étude des langues anciennes a toujours été gratifiante.
    Je voudrais toutefois conclure  sur un aspect - le plus souvent omis par les défenseurs des langues anciennes: non pas l'apport de connaissances mais la formation de l'esprit. Quelle  différence entre une version latine et un problème de géométrie ?
Bien peu. L'élève est placé devant une énigme qu'il lui faudra résoudre: dans un premier temps démonter les mécanismes, puis  après avoir perçu la srtucture logique (esprit de géométrie), exprimer le résultat obtenu de la façon la plus claire (et fidèle) possible (esprit de finesse)! Et cette gymnastique intellectuelle se fait le plus souvent à l'insu même de l'élève.
   Pourquoi se priver d'un tel enrichissement intellectuel ? Peut-être diraient   les mauvaises  langues, parce que les pédagogistes, promoteurs de la "pensée unique" veulent faire de la jeunesse, avant tout,  des consommateurs  dépourvus d'esprit critique ?

Commentaires

  • Tout à fait d'accord !
    J'aime bien cette comparaison entre un problème de géométrie et la traduction d'une phrase latine ! Et cela plaît aux élèves habitués à résoudre des enquêtes policières passant en (sur)abondance sur le petit écran !

  • Votre argumentation est très intéressante et oserai-je dire instructive. Néanmoins je ne condamnerais pas la "nouvelle grammaire" en bloc, car elle peut être fort utile lorsqu'elle permet de comprendre mieux un fait de langage.

  • Je suis d'accord avec vous, jlm, et vous remercie de votre remarque. Toutefois je me place essentiellement dans le cadre élémentaire. La base latine de la grammaire, dite traditionnelle, était réellement formatrice (compréhension, expression orale et écrite). Pour les élèves qui ont acquis cette formation à l'entrée en sixième, oui, la grammaire, dite moderne, peut être enrichissante. Hélas, ce n'est pas le cas pour la plupart d'entre eux. La grammaire moderne, basée sur la linguistique, aggrave le déficit, la confusion. J'en ai pour preuve un exemple récent: un élève -par ailleurs classé parmi les TB de sa classe- "se plantant" à l'épreuve de Français du brevet des collèges, parce qu'il n'a pas compris la (ou les) question(s), selon son pitoyable aveu ! Et j'ajouterai -timidement- car j'ai beaucoup de respect pour les enseignants- combien d'entre eux ont été nommés dans les collèges, sans avoir eu une formation préalable ? Comment enseigner ...ce que l'on ne sait pas, et, même si on possède quelques rudiments, que l'on ne maîtrise pas ? !

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