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A propos des 10 propositions Julliard pour reconstruire l'école

singe_reflechi.jpgDans la revue Marianne, (n°49 du 26 juin) l'éminent Jacques Julliard présente « 10 propositions pour reconstruire l'école » ; le titre est ambigu dans le mesure où « école » renvoie à enseignement élémentaire, alors que les propositions concernent l'ensemble du système scolaire. Si nous sommes pleinement d'accord sur le constat de l'effondrement de l'Education nationale et sur l'ensemble des propositions, nous nous permettons quelques observations. L'auteur précise que c'est d'abord « l'enseignement primaire qu'il faut remettre sur ses pieds ». C'est une évidence. Si l'Education nationale est comparable à un édifice qui menace de s'écrouler, ce n'est pas en remettant une couche de peinture au 1er étage (collège) ou au 2ème (lycée) que l'on sauvera l'édifice. C'est pourquoi nous concentrons nos remarques sur l'enseignement primaire, passant sous silence les propositions7,8,9. La 10ème comme la 1ère nous semble excessive. Notre gouvernance est républicaine et, même si nous considérons personnellement que sa démocratie est inachevée, notre Education Nationale est capable de se réformer « de l'intérieur » sans avoir l' obligation d'user de procédés marginaux qui pourraient entraîner d'autres mesures encore plus drastiques.et anti-républicaines. N'ajoutons pas au marasme ambiant une autre source de déconstructions potentielles.

 

     La 1ère proposition stipule de « raser la rue de Grenelle ». La métaphore est osée mais le constat est pertinent : « les ministres, le plus souvent parachutés sans expérience, prennent les réformes en marche, y attachent leur nom et sont déjà partis quand on commence à les mettre en application (…). Ils ne sont, pour la plupart, que des prête-noms, des faire-valoir». La solution tient en effet dans le choix du ministre qui doit être un universitaire, ayant un cursus d'enseignant et qui ne soit inféodé à aucun parti politique, sinon il sera de facto, soumis aux pressions politiciennes. La seconde mesure consiste à supprimer le CSP (Conseil supérieur des programmes) mis en place à la fin des années 2013, totalement inutile puisqu'il existe déjà une Commission identique au sein du CSE (Conseil supérieur de l'enseignement) ; inutile et dangereux, car sous couvert d'ouverture, ce Conseil est très homogène dans son idéologie politique. Il faut également éliminer les « pédagogistes » : certes le principe de « placer l'enfant au cœur de l'enseignement » est généreux mais il a donné lieu à tant de dérives qu'il a précipité l'écroulement de l'enseignement élémentaire. Ce sera au ministre lui-même de choisir ses collaborateurs parmi des techniciens neutres, non soumis aux pressions politiciennes partisanes. Que le ministre soit secondé par des secrétaires d'Etat (ou directeurs, peu importe) à l'enseignement, élémentaire, secondaire, supérieur (et à la recherche), il n'y a là aucun bouleversement, mais il nous semble indispensable d'ajouter un quatrième secrétariat aux ressources humaines: formation et
statut des professeurs des écoles.
   Contrairement à ce que pense l'opinion publique, la fonction enseignante est très exigeante, très contraignante. Si les premières années sont souvent enthousiasmantes, les contraintes deviennent vite obsédantes; le "burn out", pour employer une expression moderne toucherait majoritairement les enseignants (et principalement les enseignantes). Il est incompréhensible de constater que le candidat à l'enseignement ne fait l'objet d'aucun test, d'aucune observation physique, psychologique, psychique, vérifiant son aptitude à exercer la fonction enseignante. Aux côtés de candidats légitimement motivés, certains optent pour l'enseignement à défaut de trouver un autre emploi et voient leur entrée facilitée par la crise de recrutement, mais au détriment de leur propre équilibre et de la qualité de l'enseignement dispensé, en d'autres termes au détriment des élèves. Nous attribuons à cette commission le devoir de gérer le statut des enseignants. Il est prouvé que pour lutter contre la routine aliénante, il est bon de changer d'établissement, de niveau de classe, de passer de l'enseignement élémentaire à l'enseignement secondaire et vice-versa; or, la nomination des professeurs est uniquement une affaire de barème, d'ancienneté; le mérite n'est pas pris en compte, la qualité de l'enseignement n'est pas reconnue.

   Enfin, le secrétariat aux ressources humaines aura en charge le cursus de la formation universitaire des enseignants: Bac (ou équivalent en fonction des réformes à venir) +5. Les trois premières années préparent, en faculté, une licence d'enseignement dans une discipline choisie (mathématiques, sciences, français, histoire, etc.). Les deux années suivantes sont consacrées à la préparation du CAP: psychologie de l'enfant en 4ème année, pédagogie en cinquième année; ces deux années en alternance avec des stages pratiques dans les établissements scolaires, la cinquième année sanctionnée par les épreuves pratiques du CAP. Lors de sa première année d'enseignement (la 6ème du cursus), l'étudiant est nommé stagiaire et passe les épreuves pratiques donnant droit à la titularisation. Il est évident que ces trois années post-licence sont rémunérées. C'est à cette condition que l'Education Nationale se dotera d'un corps enseignant dûment compétent et préparé à enseigner dans les écoles élémentaires, aussi bien que dans les collèges et les lycées. 

    La deuxième proposition de Jacques Julliard porte sur un audit. Cet audit nous semble inutile, du moins au niveau de l'enseignement élémentaire. Nous savons pertinemment que 20 % des élèves atteignent la classe de 6ème sans savoir lire, écrire et compter. Si les enseignants ne sont pas à mettre en cause, les programmes et les pratiques pédagogiques (dictat des « pédagogistes ») le sont.    

    La troisième proposition aborde le problème de l'enseignement primaire qu'il faut « remettre sur pied. » C'est précisément celle qui nous importe au plus haut point, puisqu'elle conditionne la réforme globale de l'Education nationale. Jacques Julliard élude le sujet par modestie, se contentant d'affirmer que la mission première doit être l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul, ce que d'aucuns résument comme étant « le retour aux fondamentaux ».   

      1.-Tout d'abord envisageons le problème de l'apprentissage de la lecture. Il est de bon ton, aujourd'hui, d'accuser la méthode mixte adoptée dans la plupart des écoles et de réclamer à cor et à cri le retour à la méthode syllabique. C'est un faux problème. Les deux méthodes sont tout aussi efficaces, le choix de l'une ou de l'autre dépend essentiellement du milieu scolaire et de la maîtrise de la méthode par l'enseignant. Quant à la méthode globale, elle est de fait rejetée, puisqu'elle n'est utilisée que dans de très rares établissements : s'attaquer à cette méthode est du donquichottisme !
    Sans nier l'efficacité de la méthode syllabique, je peux témoigner du bien-fondé de la méthode mixte. En effet, il se trouve que j'ai commencé ma carrière d'enseignant dans le primaire et plus précisément dans une école à classe unique. J'utilisais la méthode Picard (Clair matin, Colin, éd.)les élèves étaient « débrouillés » en lecture à Noël ; aux vacances de Pâques, ils lisaient parfaitement à voix haute et à voix basse, en suivant le texte des yeux et non du bout du doigt et en comprenant le texte lu (et non déchiffré). Au retour des vacances je leur remettais le premier livre de lecture courante. Les quatre fascicules étaient thématiques : Printemps au Moulin bleu, Il était un petit navire, La-haut sur la montagne, Paris mon beau Paris. Les sujétions d'une classe unique ne me permettaient pas d'aborder les deux derniers fascicules que je poursuivais l'année suivante dans la section élémentaire, avant d'aborder le livre de Ch.Vildrac qu'ils attendaient avec impatience, Amadou le Bouquillon. Il ne m'appartient pas dans cet article de détailler la leçon de lecture, il suffit de préciser que chaque leçon (décomposition syllabique et recomposition) était précédée d'exercices d'élocution, et suivie de pratiques complémentaires : récitation, écriture, dictée, éléments de grammaire (singulier/pluriel – présent de l'indicatif, etc.), dessin. En d'autres termes, la lecture et le calcul, (enseigné avec des méthodes similaires) occupaient, directement ou indirectement, la totalité de la journée ! A la fin du cours préparatoire les élèves possédaient environ 750 mots (parfaitement orthographiés) et environ 1500, à la fin du cours élémentaire. Les collègues que j'ai pu contacter m'ont confirmé qu'il en était de même dans leur classe, avec cette certitude : les enfants avaient acquis les mécanismes de la lecture à la fin du Cours préparatoire. Pourquoi, aujourd'hui, cet échec quasi général ? Les « maîtresses » car les « maîtres » sont de plus en plus rares dans les écoles, sont tout aussi motivées, dévouées et compétentes. Jacques Julliard a raison de dénoncer les directives qui détournent « l'école élémentaire de sa mission première, au profit d'objectifs sociaux les plus hétéroclites, du code de la route à l'antiracisme, la lutte contre le sexisme, la protection de l'environnement... » C'est exact, la place prise par ces « enseignements » réduit considérablement le temps nécessaire aux apprentissages fondamentaux. J.Julliard aborde d'autres aspects dans les propositions suivantes, nous allons les réunir dans un ensemble avec, nous l'espérons, un souci de cohérence.

   2.-L'enseignement ne peut être dispensé que dans le calme, dans une atmosphère disciplinée, ce qui n'est plus le cas dans certains milieux scolaires, et c'est précisément dans ces milieux que l'analphabétisme se développe comme une gangrène. La première mesure est de rétablir l'enseignement de la morale. Je me souviens de la formule employée par l'inspecteur primaire, lors de sa conférence pédagogique  annuelle dénonçant la morale et la suppression des programmes : « la morale est la carotte pour faire avancer les ânes. » Je n'ai jamais tenu compte de cette interdiction. La leçon de morale n'était pas la leçon traditionnelle : une lecture suivie d'une formule écrite au tableau et recopiée sur le cahier en dessous de la date journalière. La leçon avait lieu à n'importe quel moment de la journée, quand un incident la provoquait. Je n'aime pas le mot discipline que l'on accole à cette attitude, je préfère le mot respect. Respect mutuel : enseignants/ administration, enseignants/parents, enseignants/ élèves. Je peux témoigner que l'on parvient à une harmonie apaisée et apaisante, condition sine qua non d'un enseignement efficace

    3.-Certains élèves pour des raisons physiologiques, sociales, ou familiales, perdent le contact en cours d'année ; les contraindre à suivre le rythme de leurs camarades, coûte que coûte, est un crime pédagogique. Il faut leur redonner confiance, leur permettre de combler leurs lacunes, en un mot, accepter les redoublements 

     4.-L'une des marottes des « pédagogistes » est de condamner le psittacisme, d'interdire l'apprentissage «par cœur ». C'est une lourde erreur, d'autant plus lourde que plus l'enfant est jeune, plus il retient facilement. Outre la consolidation des connaissances, la « leçon » développe la mémoire. Mémoire qui, plus tard, facilitera grandement sa vie d'adulte. C'est pourquoi il faut rétablir la récitation (leçons et textes d'auteurs): sans mémorisation, pas de culture.

     5.- La philosophie libertaire, qui s'est développée à la fin de la deuxième guerre mondiale et qui s'est manifestée en mai 68, a contaminé les pédagogistes : haro sur les modèles ; les « rédactions » imposées ont donné place au « texte libre » (de même la leçon de dessin est supprimée au profit du dessin libre) ; or cette « liberté » a supprimé de facto les apprentissages, l'enfant ne sait plus rédiger, ne sait plus articuler le moindre raisonnement, ne sait plus rien des lois de la perspective, etc.

    6.- Cette même philosophie libertaire a condamné le diachronisme au profit du synchronisme : ce qui est important, c'est le présent. L'Histoire est dévalorisée, (il est intéressant de remarquer que les manuels distincts d'Histoire et de Géographie, sous prétexte d'économie, sont fondus en en seul manuel où l'Histoire prend une place de plus en plus réduite). Plus gravement la chronologie est bannie, le résultat est « spectaculaire » : tous les repères sont abolis et l'Histoire apparaît dans l'esprit des élèves, comme une immense marmelade sans suite, sans causes ni conséquences. Dans le même ordre d'idées, l'évolutionnisme est mis à mal. Les deux conséquences majeures sont l'individualisme et le consumérisme : tout pour soi, ici et maintenant. Nos élèves ne sont plus que des consommateurs. Etait-ce le but prôné par les « pédagogistes » qui plaçaient « l'enfant au cœur du système » ? Probablement pas, mais c'est le résultat obtenu.

       7.- Enfin, il faut rétablir la notation, qui seule permet à l'enfant de connaître son propre niveau, le classement, qui lui permet de se situer dans son environnement scolaire, le palmarès qui récompense le mérite. Non seulement les enfants aiment ces distinctions (comme dans le domaine du sport, par exemple) mais elles les préparent à la vie qui n'est pas - comme on dit, un long fleuve tranquille - mais un combat permanent. Si les meneurs, bobos soixante-huitards, se sont bien gardés d'appliquer personnellement les consignes libertaires ("il est interdit d'interdire - sous les pavés, la plage, etc."), que sont devenus les enfants élevés au nom de ces principes ? Les exemples, hélas, abondent sous nos yeux !

     8.- En conclusion, nous n'ignorons pas que ce retour aux sources est grandement perturbé par des facteurs sociétaux qui n'existaient pas, ou peu, à l'époque où ces principes de base étaient appliqués. Toutefois toutes les écoles ne sont pas soumises à ces difficultés nouvelles, d'où la nécessité de donner aux chefs d'établissement une grande autonomie et de ne pas les contraindre à appliquer des consignes qui aboutissent à un nivellement - prétendument  égalitaire - qui bien au contraire renforce les inégalités sociales, comme le prouvent les statistiques. Enfin, nous n'ignorons pas qu'un tel programme de retour aux sources va nous attirer un concert de protestations, de mots d'oiseaux ou autres mots peu amènes, mais c'est, à notre avis, la seule condition pour que l'Education Nationale, et plus particulièrement son niveau élémentaire, retrouve la place d'excellence qu'elle occupait naguère. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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